Allocution au congrès d’automne de la SJDF à Kanazawa, 2016

Le 15 octobre 2016

Monsieur le vice-président chargé des affaires internationales de l’Université de Kanazawa, Monsieur le conseiller culturel de l’Ambassade de France au Japon, Messieurs les conférenciers, chers collègues,

Je vous remercie tout d’abord pour votre participation au congrès d’automne de la SJDF à Kanazawa. Mes remerciement vont en particulier à nos collègues, M. Kasuya Yuichi et Mme Mikami Junko, qui ont apporté leur concours inestimable à l’organisation du congrès. Sans leur apport, celui-ci n’aurait pas vu le jour.

Il y a plus d’un an lorsqu’on m’a confié la présidence de la SJDF, je vous ai rappelé mon désir d’œuvrer pour la pérennité de notre société, au moins pour une durée de trente ans, afin que l’enseignement du français au Japon ne périsse pas, qu’il soit transmis aux générations à venir comme un don précieux de notre part, puisque nous avons reçu nous aussi ce don de la part de la génération précédente. Il est certainement trop tôt pour faire le bilan de cette politique, mais je vous invite quand même à évaluer les efforts de votre part, aussi bien que de notre part.

Le congrès international tenu à Fukuoka en 2015 nous a permis de renforcer la coopération régionale en matière d’enseignement du français, de manière à renouveler le paysage pédagogique du FLE. Je voudrais vous donner un exemple pour illustrer l’amitié créée par l’amour de la langue française. La coopération japono-mongole a vu le jour sous la forme de visio-conférences entre étudiants à l’initiative de l’université Seinangakuin d’un côté et de l’université nationale de la Mongolie de l’autre, incarnant de manière tout à fait exemplaire le nouvel horizon de la francophonie en Asie de l’Est, et cela a été suivi par la participation d’étudiants japonais à une université d’été francophone à Ulaanbaatar. Qui aurait imaginé jusqu’ici de réaliser un échange international entre étudiants japonais et mongols, et cela en français ? Le français sert désormais d’outil de communication entre voisins, au sens géographique du terme. Je félicite donc les acteurs de terrain pour avoir aménagé un environnement éducatif à même d’attirer l’attention des étudiants vers la communication en français avec nos amis non francophones.

Je suis tout à fait fier de ce projet éducatif en français en dehors de la zone francophone traditionnelle, au sens institutionnel et sociolinguistique du terme. Cette initiative ne nous a pas été imposée, mais une concertation locale a permis de créer ce nouveau projet éducatif, qui dépasse les frontières politiques comme psychologiques. Si ce congrès d’automne à Kanazawa a choisi comme thème « le français à l’heure de la glocalisation : de l’extension à l’inclusion », notre ambition n’est jamais limitée à notre environnement immédiat, compte tenu de l’expérience de nos collègues. Il arrive qu’une politique linguistique éducative s’impose au Japon comme ailleurs, du haut vers le bas, puisque les autorités publiques disposent de moyens budgétaires pour canaliser d’une manière ou d’une autre l’action de terrain, avec une marge réduite qui est celle dont les acteurs disposent pour camoufler la ligne directrice des gouvernements.

La coopération japono-mongole témoigne de l’apport précieux de nos collègues de deux universités, qui ont eu l’audace de travailler en collaboration avec des pays non francophones. Nous allons découvrir dans ces deux jours de congrès d’autres actions pédagogiques de terrain qui illustrent les ressources locales dans l’enseignement du français.

Le mois d’octobre est une des rares périodes où les universités japonaises, comme d’ailleurs, attirent l’attention de la presse. Cela en raison du prix Nobel qui attire l’attention du public, comme s’il représentait un classement des nations dans la communauté internationale. De toute evidence ce prix n’a rien à voir avec l’enseignement des langues, ni avec la didactique des langues, puisqu’il est destiné principalement à la science pure et dure. Cela n’empêche pas les festivités du prix Nobel de révèler d’une manière ironique l’état des lieux de la Science au Japon, dans la mesure où les lauréats déplorent presque chaque année la pénurie budgétaire qui touche la recherche scientifique de nos jours. Au début de leur carrière, lorsque les lauréats ont découvert d’une manière ou d’une autre les germes de qui serait l’objet de leur recherche, les fonds alloués à la recherche fondamentale étaient distribués avec plus de générosité, même pour des sujets parfois obscurs. Aux jeunes et aux moins jeunes chercheurs, ces lauréats n’oublient pas de préciser qu’il faut trouver des créneaux moins exploités, et quelquefois moins visibles à court terme. N’est-il pas vrai que nous cherchons à éviter, sans le savoir, des sujets de recherche qui exigent des recherches à long terme sous la pression invisible de l’évaluation extérieure ?

Notre époque est malheureusement caractérisée par l’effet de rentabilité dans tous les domaines, et nous avons tendance à nous pencher sur des recherches qui semblent pouvoir offrir des bénéfices immédiats ou qui semblent susciter l’intérêt de nos contemporains.

La leçon que nous offrent ces lauréats nous impose de réfléchir à nos comportements de chercheurs, susceptibles de nous intéresser aux problématiques à la mode, et en faveur d’intérêts immédiats. Il est certain que les recherches en vogue nous rassurent puisqu’il y a tant d’actions en cours à la recherche d’un meilleur résultat, et ce d’autant plus facilement qu’on peut compter beaucoup plus sur des apports budgétaires, dans tous les sens.

Il faut pourtant se demander si la recherche en tant que puissance créatrice procède de ces idées en vogue, relativement faciles à comprendre. Les lauréats du prix Nobel nous encouragent, au contraire, à découvrir des problématiques toutes vierges, capables d’élargir l’horizon de nos idées et à plus forte raison de l’humanité elle-même.

L’enseignement des langues comme la didactique des langues sont invités, à mon humble avis, à ne pas se contenter de demeurer dans un foyer bien tranquille et agréable, mais à aller de l’avant à la recherche d’un terrain peu cultivé, à l’exemple de nos collègues de Fukuoka et d’Ulaanbaatar.

Avant de conclure mon propos d’ouverture, je voudrais aussi revenir sur l’impact du Brexit dans l’enseignement des langues, en particulier du français. Comment concevoir une Europe nouvelle sans le Royaume Uni, dépositaire de l’anglais comme langue officielle au sein de l’Union européenne ? La politique multilingue en Europe prescrit le statut de langue officielle en fonction des États membres dont trois, le Royaume Uni, l’Irlande et Malte, disposent de l’anglais comme langue officielle en soulignant toutefois que l’Irlande et Malte en ont fait leur deuxième langue officielle. L’hypothèse d’une Union européenne sans anglais peut nous rendre perplexe même si la jurisprudence l’autorise de manière à ne pas privilégier une langue quelconque. Nous aurons certainement la réponse dans quelques années.

Plus que le statut des langues au sein des instances européennes, l’anglais comme langue d’affaires devrait nous préoccuper davantage, dans la mesure où après la délocalisation des entreprises japonaise de Londres vers l’Europe continentale, la langue de la City sera remplacée par d’autres langues, y compris le français. Les personnels travaillant dans une succursale en Europe continentale devraient ainsi pratiquer une langue « autochtone » à la place de l’anglais, d’où la valorisation possible des langues autres que ce dernier. Vous avez certainement le droit de sourire de cette hypothèse comme on peut sourire du fameux « effet papillon », qui postule que « le battement d’ailes d’un papillon au Brésil pourrait provoquer une tornade au Texas », et pourtant…Le Brexit déclenchera-t-il un véritable essor du multilinguisme dans la bureaucratie de Bruxelles ou bien l’esprit pragmatique qui favorise l’anglais comme moyen de communication par excellence se prolongera-t-il dans une politique linguistique européenne déja bien établie ?

Avec des si, l’histoire pourrait se renouveler entièrement, libre à nous d’imaginer la mise en place d’un marché des langues plus ouvert et moins soumis à l’anglais, du fait d’un déménagement probable des entreprises multinationales de la City vers l’Europe continentale. La valorisation des langues autres que l’anglais sur ce marché ne doit pas rester une rêverie, il faut y travailler pour permettre le renforcement de l’enseignement des langues autre que l’anglais à l’école. Il nous faudra encore beaucoup de perséverance pour ne pas nous laisser abuser par les apparences et vouloir changer les choses si nous le souhaitons.

Je vous souhaite un bon et fructueux congrès.

NISHIYAMA Noriyuki,
président de la Société Japonaise de Didactique du Français (SJDF)

 

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